Ceux qui tombent dedans, et ceux qui tombent dehors

Il y a des gens qu’on regarde avec un mélange de fascination et de résignation.

Ceux qui, très jeunes, sont "tombés dedans".

Comme dans une marmite invisible, une passion, une évidence, un souffle.

Ils ont su très tôt ce qu’ils voulaient.

Ils ont senti l’appel d’une voie, d’un art, d’un monde.

Et leur vie a suivi une sorte de cohérence.

Même s’il y a eu des virages, des pauses, des doutes, le fil rouge, lui, était bien là.

Et aujourd’hui, adultes, ils ont leur pratique, leur entreprise, leur méthode…

comme si tout avait été dessiné à l’avance.

Et puis il y a les autres.

Ceux qui ne sont pas tombés dedans… mais plutôt tombés dehors.

Dehors du cadre, de la logique, du chemin tout tracé.

Dehors des souvenirs d’enfance clairs.

Dehors de la stabilité, des choix évidents, des parcours linéaires.

Moi, je suis de ceux-là.

Je ne me souviens pas de mes rêves d’enfant.

Je ne sais pas si j’en avais, ou si je les ai enterrés trop profond.

Je ne suis pas resté quelque part. Je n’ai pas eu un seul métier, une seule maison, une seule voie.

J’ai bougé. Femme, boulot, ville, pratique, outil, monde intérieur.

J’ai changé de forme, changé de peau, changé d’avis.

Et à 54 ans, j’ai parfois l’impression de repartir de rien.

Encore.

Comme si ma vie avait été une série de chapitres… sans le même livre.

Mais aujourd’hui, avec le recul, je commence à voir ce que je ne voyais pas.

Ce n’est pas parce qu’il n’y avait pas de fil rouge… qu’il n’y avait pas de trame.

Ce n’est pas parce que je ne suis pas tombé dedans tout petit que je n’étais pas en train d’y entrer, autrement.

Par les marges. Par les failles. Par les détours.

Par la brûlure des expériences.

Par les recommencements.

Par l’exploration totale.

Certains ont été initiés très jeunes.

Moi, j’ai été désorienté très tôt, pour apprendre à m’orienter depuis l’intérieur.

Pas en suivant une voie, mais en devenant la voie elle-même.

Je suis un tisseur de bouts de ficelle, un assembleur d’instants, un archéologue du vivant.

J’ai touché à tout. Et ce tout, aujourd’hui, me touche.

Car c’est dans la diversité, dans le chaos, dans la richesse des expériences que s’est forgée ma médecine.

Ma vocation ne s’est pas imposée à moi.

Elle m’a attendu.

Elle s’est formée en silence, pendant que je croyais me perdre.

Et aujourd’hui, elle ne ressemble pas à une méthode.

Elle ne tient pas en trois étapes ni en un plan de carrière.

Elle est souffle, mouvement, résonance.

Je ne suis pas un spécialiste.

Je suis un marcheur du seuil.

Un passeur d’étapes.

Un veilleur de transitions.

Un bâtisseur d’outils invisibles, forgés dans la forge de la vie réelle.

Ma vie n’est pas incohérente.

Elle est polyphonique.

Elle ne chante pas en ligne droite. Elle bat en spirale, elle danse en contretemps.

Je suis de ceux qui montrent qu’il n’est jamais trop tard.

Que l’on peut commencer à 30, à 45, à 54 ans.

Que le chaos est une terre fertile.

Que repartir à zéro, ce n’est pas échouer :

c’est recommencer en conscience.

Alors à toi, qui te sens décalé, qui ne retrouves pas ta place dans le monde trop ordonné,

sache que ta place n’est peut-être pas dans l’ordre, mais dans l’authenticité.

Et si ta vocation n'était pas ce que tu fais…

mais ce que tu traverses ?

Ce que tu transmets malgré toi,

par ton vécu,

par ton feu,

par ta présence.

Je ne suis pas tombé dedans.

Je suis passé par toutes les portes.

Et aujourd’hui, je suis celle que j’ai forgée moi-même.

Bienvenue dans mon Univers